Dans le pays le plus riche de la planète, l'absence de logement pour des millions de personnes n'est pas un simple problème, mais un défaut de conception. Elle résulte de choix économiques, de l'inaction politique et d'une incapacité systémique à reconnaître le logement comme un droit humain fondamental. Le sans-abrisme, dans son ampleur et sa persistance actuelles, n'est pas seulement un échec moral, c'est une contradiction économique qui sape la logique même d'une société moderne et fonctionnelle.
Disons-le clairement : dans une économie qui génère des milliards de dollars grâce au crédit, aux produits dérivés et à la spéculation, l’idée que nous n’avons pas les moyens de loger notre population ne tient pas la route. Nous créons des milliardaires d’un trait de plume, tout en prétendant qu’il n’y a pas assez de financement pour construire de petites maisons dignes de ce nom. Ce n’est pas une question de ressources, c’est une question de priorités.
La crise du logement aux États-Unis existe parce que nous la laissons faire. Nous avons accepté un modèle où l'attribution des logements est fonction des résultats du marché, et non des besoins humains. Nous traitons l'immobilier comme un actif spéculatif plutôt que comme un fondement social. Ainsi, des logements restent vides tandis que des gens dorment sur le trottoir. Des quartiers entiers sont payés par des sociétés d'investissement et laissés sous-utilisés, ce qui fait grimper les prix et réduit l'accès aux logements.
Parallèlement, les mécanismes mêmes de notre système financier révèlent une ironie flagrante : le dollar américain n’est adossé ni à l’or ni au pétrole, mais à la confiance et à la politique. C’est une monnaie fiduciaire. Cela signifie que nous avons la capacité de créer de la monnaie pour financer des priorités. Nous le faisons souvent : pour la guerre, pour des renflouements, pour des allégements fiscaux. Mais nous utilisons rarement, voire jamais, ce pouvoir pour loger les sans-abri. De fait, la Réserve fédérale a injecté des milliers de milliards dans les marchés financiers ces dernières années, et pourtant nous continuons de considérer le logement abordable comme un fardeau budgétaire plutôt que comme un accélérateur économique.
Et qu'en est-il des refuges ? Temporaires, surchargés et souvent régis par des règles strictes qui privent les personnes de leur liberté d'action. Ils offrent un soulagement momentané, mais pas de solutions. Nous demandons aux gens de reconstruire leur vie sous des couvre-feux, sous surveillance, sous des plafonds qui disparaissent au petit matin. Ce n'est pas de la stabilité, c'est une porte tournante.
Pour comprendre le présent, il faut aussi se confronter au passé. L'Amérique a une longue tradition d'hébergement de ceux qu'elle jugeait utiles ; les Africains réduits en esclavage recevaient un logement, non par compassion, mais pour maintenir leur productivité. Avec l'abolition de l'esclavage, cette stabilité minimale a disparu. Pas de réparations. Pas de terres. Pas de transfert de richesse. Juste une liberté sans aucun fondement. Cet héritage n'est pas derrière nous. Il est ancré dans les disparités que nous constatons aujourd'hui : en matière de richesse, de logement, d'accès.
On ne peut pas parler d'économie sans parler d'exclusion. Une croissance économique sans répartition équitable conduit précisément à ce que nous constatons aujourd'hui : des marchés boursiers record et un nombre record de sans-abris. Les personnes incarcérées reçoivent un logement et des repas parce que l'État le juge nécessaire. Mais une personne qui n'a commis aucun crime et qui est simplement passée entre les mailles du filet ? On lui propose des conditions bien pires que la prison. Ce n'est pas seulement ironique, c'est un échec politique fondamental.
Il est temps de cesser de considérer le logement comme une récompense pour la participation au marché et de le considérer comme une condition préalable à la participation économique. Un logement stable permet aux individus de prendre soin de leur santé, de trouver un emploi et de contribuer à la vie de leur communauté. Le logement est le fondement de la mobilité économique.
Nous avons besoin d'une approche nationale qui traite le logement comme nous traitons les routes et les écoles publiques : comme une infrastructure. Pas comme un luxe. Pas comme une aide sociale. Une infrastructure.
Il ne s'agit pas seulement d'économie, mais d'intégrité économique. Si notre économie peut soutenir les immenses demeures et les gratte-ciel spéculatifs, elle peut aussi soutenir la construction de logements abordables et modestes, dotés de salles de bains, de cuisines et de portes verrouillables. Des logements qui rétablissent non seulement la sécurité, mais aussi la dignité.
En fin de compte, la question n'est pas de savoir si nous pouvons nous permettre de résoudre le problème des sans-abri. La question est de savoir si nous pouvons nous permettre de ne pas le faire. Plus nous tardons, plus nous perdons non seulement en argent, mais aussi en vies humaines, en potentiel et en confiance.
Une économie qui laisse des millions de personnes sans abri n'est ni efficace, ni éthique, ni durable. Il est temps de tout reconstruire, en commençant par un chez-soi.